Saadane AFIF


France (Cergy-pontoise)

Dans l'Ouest, et le Nord-Ouest, les villes nouvelles initialement programmées étaient celles de Cergy-Pontoise et de Mantes "Sud". Cette dernière ne s'est pas concrétisée par des mesures comparables à celles des villes nouvelles. Toutefois le développement de cette région s'est fait "malgré tout" et sans volonté de créer une centralité puissante et équilibrée. Quelles complémentarités ou quelles concurrences entre ces sites du Mantois et de Cergy-Pontoise?
Dans cette vision de l'aménagement entre pôles le périmètre intéressé devient très large en incorporant un tissu urbain "peu contrôlé", des zones de forêts, un parc naturel régional et des pôles majeurs comme ceux de Mantes, de Cergy-Pontoise et de La Défense. Comment prendre des dispositions adaptées à l'identité de chacun des lieux concernés?

Artiste en résidence : Saâdane AFIF

L'approche sensible et l'esprit de synthèse, porté par les artistes, sont un complément aux dimensions techniques et statistiques, permettant d'aborder la diversité des échelles de penser les enjeux pour transformer le territoire.
Afif considère les Ateliers comme un laboratoire expérimental, « simulateur de situations réelles », lieu propice pour oser des idées anticipatrices et non conformes.


Programme-territoire-thème
J’ai pris un vif intérêt à découvrir de l’intérieur, au travers de ces processus intimes, cette activité d’urbaniste dont, par la force des choses, je fréquente quotidiennement les conséquences, heureuses ou malheureuses, depuis mon plus jeune âge. Je retiendrai qu’elle fait partie de ces ouvrages que l’on remet sans cesse sur le métier ; les Ateliers d’Eté de Cergy-Pontoise apparaissant comme l’un des moteurs d’une remise en question récurrente.

Cette démarche d’observation et de synthèse de la complexité qui nous environne pourrait être ce dénominateur commun à nos deux activités (artistiques et urbanistiques), propice à l’émergence d’un débat. Convergence d’approche qui, en dépit du sérieux des enjeux et de l’ampleur des contraintes, a pu parfois me faire regretter de voir tant d’énergie créatrice bridée par trop de technicité, ou pis, mise en service de « demi-visions » offrant à nos concitoyens un avenir tranquille, sans effort mais sans félicité, afin d’assurer le bonheur électoral de certains élus et la récompense de l’urbaniste.

La première semaine de conférences-débats fut riche en apprentissage de nouveaux langages et en découverte d’échelles de projections improbables pour un habitué des « white cubes ». J’ai eu de l’intérêt à voir se démener nos participants dans ce vaste «jeu de rôles», dont vous aviez défini les règles par cet intitulé barbare pour le néophyte: « la polycentralité dans les grandes agglomérations – Cergy-Pontoise et le Mantois ».
Si la plupart des participants semblaient rompus à ce langage, la difficulté n’était pas liée au simple décryptage du titre de la session. Je fus rassuré de découvrir la perplexité des participants lors des premiers échanges. Cela m’a permis d’envisager à ma manière une question dont, je vous l’avoue, les enjeux m’avaient laissé jusqu’alors parfaitement idiot. Il me semble les avoir vus, malgré l’ampleur de la tâche, accomplir quelques prouesses. Comprendre le sujet et en faire l’examen précis n’étant pas la moindre. Néanmoins, de trop se perdre dans cette analyse complexe semble avoir amoindri la force de propositions anticipatrices et empêché l’émergence de vision utopique – au sens premier d’ordonner des communautés derrière un idéal que l’on pouvait attendre d’urbanistes en herbe. En d’autres termes, j’avais espéré une plus grande radicalité de la part d’une jeune génération confrontée aux développements incertains d’une réalité contemporaine très trouble.

Avant de poursuivre sur ce point et d’aborder le sujet qui nous a réunis, je souhaiterais également vous remercier, en ces temps de spécialisations stériles, de vouloir croire au décloisonnement comme condition première à la mise en place d’une plate-forme de réflexion. Les effets d’une telle démarche se ressentent à travers l’énergie très positive se dégageant des équipes pluridisciplinaires et pluriculturelles ainsi formées qui font, à l’évidence, écho à la structure des cités d’aujourd’hui. Ainsi j’ai pu apprécier : d’une part, d’être introduit au sein d’une équipe d’experts réunissant des personnes issues d’horizons différents et, d’autre part, l’écoute attentive dont l’ensemble a fait preuve vis-à-vis de notre position d’artistes. Ce, en dépit du rôle parfois suspect de doux perturbateurs ou de simples « enjoliveurs » dont certains semblent vouloir nous affubler. On échappe au décloisonnement mais pas à l’étiquette.

Par sa disponibilité au monde l’artiste reste un citoyen extraordinaire. A ce titre, il est un témoin précieux, doué de parole, susceptible de s’inscrire dès l’origine dans des débats nécessaires à la mise en place de projets d’urbanisme et, au-delà, de projets de société. Garant d’une certaine approche « sensible », s’inscrivant sur d’autres échelles de temps, il n’en est pas moins un interlocuteur capable de s’adapter aux exigences de contraintes très lourdes. L’esprit de synthèse de la réalité sensible semble être un complément indispensable aux analyses statistiques et techniques de tous poils, matériaux de base de l’urbaniste. Aussi, je vous sais gré d’avoir mis en valeur cette approche en récompensant la débordante et tellement solidaire « Sensible Mouvement » et « Leaf », plus mesurée mais non moins sensible. Même si, à l’instar de l’ensemble du jury, je veux souligner le manque d’aboutissement des propositions.

Si nous nous accordons à dire que l’attractivité d’une région se mesure à sa qualité de vie, à la valorisation et à la conservation de son patrimoine naturel, culturel et humain, il est donc indispensable de promouvoir dès aujourd’hui l’émergence du patrimoine de demain. Ceci ne peut se faire qu’en favorisant l’application concrète sur le territoire, des idées les plus novatrices dans les domaines variés de la pensée : arts, architecture, éducation, écologie... L’activité ainsi générée par la volonté d’aller au-delà de la stricte nécessité sert le dynamisme de la société. C’est probablement de visions dont nous avons le plus manqué lors de ces Ateliers. Une certaine démesure des propositions, qui aurait placé la barre un peu au-dessus du but à atteindre, de science-fiction ? En dépit du sérieux de l’exercice, les Ateliers ne sont-ils pas, parce que simulateurs de situations réelles, un laboratoire expérimental sans pareil pour oser émettre des idées anticipatrices et non conformes liées aux enjeux de nos civilisations ? Ne faudrait-il pas insister sur le fait, qu’au côté d’une variété d’échelles techniques, il existe aussi une variété d’échelles de pensées les enjeux du développement des territoires étant inséparables du devenir du monde ?


Biographie
Né en 1970 à Vendôme (France) Saâdane Afif a étudié à l'École Nationale des Beaux-Arts de Bourges (diplôme obtenu en 1995) puis à celle de Nantes pour un post-diplôme en 1998. Il a remporté plusieurs prix dont le Prix Marcel Duchamp en 2009.
L'œuvre protéiforme de Saâdane Afif peut, à bien des égards, évoquer la pratique musicale du remix. Par la voie de l’emprunt, du détournement et du déplacement, l’artiste recompose la complexité culturelle contemporaine dans ses multiples dimensions : sociales, historiques, psychologiques ou culturelles stricto sensu. Il juxtapose dans ses œuvres des fragments des cultures dites « populaire » et « savante », produisant une hybridation qui tient autant de l’ironie critique face à nos structures inconscientes que d’un métissage créateur. Le contexte joue un grand rôle dans l'oeuvre de Saädane Afif, qui préfère travailler in situ plutôt qu’en atelier. L’artiste ne s’attache pas à un langage plastique en particulier, mais use autant de l’installation, que de la sculpture, du dessin, de l’écrit, du commissariat (Promenade au Zoo, Biennale d’art contemporain de Lyon 2007) commanditant, si besoin est, certaines réalisations à d’autres artistes. Les références aux cultures musicales, plus particulièrement au rock, sont récurrentes dans sa pratique depuis 2004, moment où il commande à des compositeurs des chansons interprétant certains de ses projets. Multipliant les traductions de ses œuvres (textes, remakes, chansons), Afif déjoue toute catégorisation et revient à des questions fondamentales liées au sens de l'art et à sa perception. (Texte extrait du FRAC Centre).


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Dossier réalisé par art-public.com